Le Front national belge va continuer d'AGIR

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite | Jeudi 9 mars 2017


Enquête exclusive du journal d'investigation RésistanceS.be sur l'avenir de l'extrême droite belge francophone (1/4)


INFOS EXCLUSIVES – Marine Le Pen, la présidente du FN français, interdit aux frontistes belges d'utiliser le nom et le sigle de son parti d'extrême droite. Après deux saisons d'une longue saga devant les tribunaux, le Front national belge est mis au placard. Dans l'attente de la réouverture de son dossier devant la cour de cassation, ses derniers dirigeants ont relancé une asbl frontiste fondée en 1983 et viennent de créer deux nouvelles associations politiques : « Jeune Europe » et « AGIR ». L'objectif de ces chevaux de Troie est de revenir en force sur la scène politique à l'occasion des prochaines élections.




Tel le monstre du Loch Ness - mais dans le cas présent il existe réellement en chair et en os - le Front national belge (FN belge), depuis son apparition il y a près de trente-deux ans, fait du yo-yo. Pour apparaitre, puis disparaitre, avant de revenir, certes très affaibli, sur la scène d'animation de l'extrême droite belge francophone.


Aux élections régionales bruxelloises de 1989, aux législatives de 1991, aux européennes et aux communales de 1994, le parti d'extrême droite enregistre, dans les régions bruxelloise et wallonne, des percées électorales successives. Un flux positif, alors déjà à l'époque dans l'air du temps sur tout le continent européen, pour ceux qui incarnent un nationalisme exacerbé, teinté d'autoritarisme, de xénophobie et de poujadisme. Aux élections de 1999, malgré ce climat politique, social et économique favorable à ses slogans, englué dans l’incapacité de structurer une force nouvelle politique efficace, le FN belge perd de sa capacité de nuisance avec un reflux électoral conséquent.

En 2003, profitant de la présence - quelques mois auparavant - de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, les frontistes de notre pays reprirent du poil de la bête. La bonne santé du FN de chez nous ne sera que de courte durée. Il va plonger ensuite vers le niveau quasi zéro de la représentativité électorale. Traversé par une guerre des clans frontistes, le Front va voler en éclat pour voir apparaitre, entre 2007 et 2012, plusieurs FN concurrents, antagonistes, se revendiquant tous du parti d'origine et du lepénisme.

Saison 1 de la saga judiciaire FN contre FN
L'un de ces clans frontistes belges va réussir à obtenir le soutien officiel de Marine Le Pen, qui vient de prendre en France la présidence du parti de son père. Il s'agit du FN belge conduit par Charles Pire, un transfuge de ladite « particratie ». C. Pire fut membre de la direction du Parti social-chrétien (PSC) dans la province de Liège. Son parcours politique sans tâches plait à Marine Le Pen et ses lieutenants. Mais, après notamment les révélations du journal RésistanceS.be sur les liens de ce clan frontiste avec les nationaux-solidaristes du « Mouvement Nation », qui en France collaborent au même moment avec des groupes néonazis et nationalistes-révolutionnaires hostiles au FN français, la présidente de ce dernier décide, en 2012, de mettre fin unilatéralement à l'aventure du lepénisme en Belgique. Pour y parvenir, Marine Le Pen se lance dans une première saga judiciaire devant les tribunaux de notre pays, durant toute une première saison constituée de rebondissements variés.

En septembre de l'année passée, la cour d'Appel de Liège, en charge du dernier épisode de la « saison 2 » de cette série politico-judiciaire, ordonne l'interdiction de l'utilisation en Belgique du nom « Front national » et de son sigle, la flamme tricolore. En cas d'infraction à l'arrêt liégeois, les récalcitrants seront poursuivis et lourdement condamnés. Aucun frontiste belge ne pourra assumer encore longtemps l'acharnement judiciaire de la Le Pen et de son avocat belge, un dénommé Ghislain Dubois. Ancien membre de l'ombre d'instances dirigeantes du frontisme belge, cet avocat du barreau de Liège est devenu, après avoir conduit devant Dame justice les dirigeants du FN belge « canal historique », l'un des assistants parlementaires bien payés du Front national français au Parlement européen. Pour son rôle central joué dans le mécanisme de défense de la cheffe lepéniste contre l'institution européenne qui l'accuse d'emplois fictifs, l'individu en question a été l'objet, voici quelques jours, d'un article du journal d'investigation « Le Canard enchainé ».


Face au rouleau compresseur du FN de Paris, la minuscule phalange belge lui résistant encore, et ce depuis plusieurs années, ne s'est pas pour autant avouée vaincue. En coulisse de l'agitation de l'extrême droite caractérielle, affirmant être sur tous les terrains, mais toujours avec le même nombre maigrichon de militants d'il y a vingt ans, les tenanciers belges de la boutique frontiste ont réchauffé leurs muscles pour remonter sur le ring de la politique belge. En plusieurs phases et surtout avec trois chevaux de Troie. Il faut savoir que le potentiel électoral en Wallonie, comme à Bruxelles, est toujours là. La demande est forte. Il suffit de reformuler une offre. Selon certaines études d'opinion, les intentions de vote pour Marine Le Pen pourraient grimper autour des 30 % des voix dans le sud du pays ce qui serait bénéfique pour tout parti belge pouvant être associé sur le plan idéologique au FN français et à sa présidente suprême. 

Trois chevaux de Troie pour repasser à l'assaut
Pour survivre et profiter de l'air électoral ambiant favorable, la première phase enclenchée par les dirigeants sortants du FN belge consiste au dépôt d'un pourvoi en cassation pour s'opposer à l'arrêt de la cour d'Appel de Liège, rendu en septembre 2016. Il sera examiné en juin ou septembre prochain. En cas de refus de rouvrir le litige entre le FN d'outre-Quiévrain et celui actif notamment sur les bords de Meuse, les dirigeants de ce dernier se rendront, dans une deuxième phase, jusqu'à la Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg.

Dans l'attente de l'épilogue de cette seconde phase, le FN belge suspendu a relancé une vieille asbl frontiste – créée alors en 1983 - et vient de fonder deux nouvelles associations politiques aux noms des plus évocateurs dans l'histoire de l'extrême droite belge francophone : « Jeune Europe » et « AGIR ». Véritables chevaux de Troie, leur objectif commun et unique est de revenir en force sur la scène politique à l'occasion des prochaines élections. La cavalerie des ex-frontistes est déjà d'ailleurs en ordre de bataille sur le front. Prête à passer à l'assaut.



Front national pour l'unité belge

Front national - Nationaal front (FNUB - FN-NF)
Le FNUP- FN-NF a été officiellement fondé en mars 1983, à Marcinelle, une commune près de la ville de Charleroi, dans la province du Hainaut, sous la forme d'une asbl. A l'époque, cette association sans but lucratif de nature politique avait pour nom « Union belge pour l'Eurodroite » (« Eurodroite », en abrégé). Son objectif statutaire est alors d'« organiser la participation de la droite nationale à tout débat concernant l'unité européenne et en particulier, par la présentation de liste sous son sigle à toute élection européenne ou comme composante de tout rassemblement rejoignant ses vues. »

Son président, Jean-Pierre Borbouse, provient en droite ligne du Parti communautaire national-européen (PCN), un groupuscule de la région de Charleroi se revendiquant de l'héritage doctrinal de l'organisation Jeune Europe (voir la notice du deuxième cheval de Troie du FN belge, juste ci-après). Après l'émergence de Jean-Marie Le Pen, président-fondateur du FN français, dans le paysage politique et médiatique, l'Union belge pour l'Eurodroite change de nom et adopte, en juillet 1984, celui plus porteur sur le plan électoral de « Front national pour l'unité belge – Front national - Nationaal front » (FNUB – FN-NF). L'article 2 de ses statuts précise clairement que « 
l'association ''Front national'' veut constituer un point de rassemblement pour tous ceux qui veulent préserver l'unité nationale et favoriser l'unification de l'Europe, et en particulier par la présentation de listes sous son sigle à toutes élections ou comme composante de tout rassemblement rejoignant ses vues. ».

Laissant le champ libre à une autre asbl, « Front national-Nationaal front » (FN-NF) mise en place à Bruxelles par un ancien du parti libéral wallon, Daniel Féret, l'asbl de Marcinelle ne sera ensuite plus active. Jusqu'à sa réactivation toute récente ! En effet, le 27 décembre dernier, un nouvel acte concernant cette asbl apparue en 1983 a été déposé au
Moniteur belge à propos du changement opéré de membres effectifs et de l'adresse de son siège social, ainsi que du renouvellement de son conseil d'administration.

Le président de l'asbl FNUP – FN-NF reste Jean-Pierre Borbouse. Durant la longue période d'hibernation (plus de trente-deux ans) de cette asbl, après son départ du PCN, il avait rejoint le Front national belge. Aux élections communales de 2000, Borbouse est élu conseiller communal à Charleroi, puis député régional wallon en 2004. En 2007, le même participe à un putsch pour dégommer Daniel Féret de son poste officieux de « président à vie » du FN. Ensuite, Jean-Pierre Borbouse lance, avec d'autres, un FN bis, autour du sénateur Michel Delacroix et du secrétaire-général du Front Patrick Sessler. Ensemble, ils seront à la base du Comité belge de soutien à Jean-Marie Le Pen à l'occasion de la présidentielle de 2007. Cependant, Borbouse revient pour finir dans le giron du FN « canal historique ». En novembre 2015, il se retrouve à nouveau au côté de Daniel Féret, à la tribune des trente ans du Front national de Belgique (voir à ce sujet l'article exclusif de RésistanceS.be :
Le Front national belge n'est pas mort, il a 30 ans). Pour son implication des plus actives dans le maintien du FN belge sur la scène nationaliste, Jean-Pierre Borbouse a été ciblé par Ghislain Dubois, l'un de ses ex-camarades de parti devenu l'avocat en charge de liquider la succursale belge du FN français.

La réactivation de l'asbl FNUP – FN-NF est clairement une manoeuvre provocatrice, orchestrée par Borbouse. Un pied de nez fait à la patronne du frontisme et à son avocat belge. 







Jeune Europe (JE)
Comme le FNUP – FN-NF, il s'agit d'une asbl issue du frontisme. Mais l'association sans but lucratif « Jeune Europe » est de création toute récente. Ses statuts de fondation ont effectivement été déposés au Moniteur belge, il y a moins d'un mois. Les deux principaux fondateurs de cette toute nouvelle association politique proviennent également du FN belge d'origine. Il y a l'incontournable Jean-Pierre Borbouse, secondé ici par Salvatore Nicotra. Actuel conseiller communal à Fleurus (commune située aux environs de Charleroi), élu en 2012 sur la liste intitulée « Ligue européenne, patriotique, égalitaire et nationaliste », formant sans aucun hasard les initiales « LEPEN », ce même Nicotra avait succédé à la présidence du Front national après le départ de son président-fondateur Daniel Féret, alors en retraite politique suite à de multiples poursuites et condamnations judiciaires.

Les principaux buts de l'association Jeune Europe sont de « promouvoir l’Europe unitaire, le développement et les synergies politiques, économiques, sociales, culturelles, caritatives entre les peuples européens, de défendre les intérêts européens en Belgique et partout en Europe et de déposer des listes de candidats aux élections européenne, fédérale, régionale, provinciale et communale sous le sigle JE (Jeune Europe). »

Le nom choisi pour cette toute nouvelle asbl n'est pas le fruit du hasard. Son nom fait partie du patrimoine historique de l'extrême droite nationale et européenne. Il est directement lié à Jean Thiriart, l'un de ses principaux leaders au début des années soixante, puis le théoricien du « national-communautarisme », le nationalisme européen tendance pure et dure (à son sujet, lire l'article 3/4 de cette présente enquête de RésistanceS.be).

AGIR
Entre 1989 et 1995, AGIR, qui se présentait comme un « parti d'opposition populaire », a été actif essentiellement dans la région liégeoise, mais également ailleurs en Wallonie et aussi dans la capitale du pays. Grâce à une organisation interne efficace, un corpus idéologique identitaire clair, l'élaboration d'une propagande professionnelle, AGIR est devenu le seul réel concurrent menaçant l'hégémonie d'alors du FN belge de Daniel Féret. Ce sont des tensions entre ses dirigeants qui mettront fin à son développement pourtant prometteur (sur l'histoire d'AGIR, il faut lire l'article 4/4 de cette présente enquête de RésistanceS.be).

Pour éviter de nouvelles poursuites judiciaires, lourdes de conséquences sur le plan financier et moral, Salvatore Nicotra et deux de ses nouveaux jeunes lieutenants ont remis d’actualité le nom d'AGIR. Une réactivation permettant la poursuite du combat nationaliste. Pour en être les propriétaires légaux et protéger son appellation et son sigle, il y a près de treize jours, une asbl a été officiellement constitué et un dépôt de marque a été déposé à l'Office du Benelux de la propriété intellectuelle.

Dans ses statuts, l'asbl mentionne qu'elle a pour but « 
la gestion, l'organisation et le financement du parti politique ''AGIR'' anciennement dénommé ''Front National belge'', plus anciennement dénommé ''Front National – Nationaal front'' créé le 30 septembre 1985 par Daniel FERET [...]. L'association est la seule à pouvoir se revendiquer d'être l'héritier légale de cette formation politique. ».

La nouvelle asbl conduite par le conseiller communal Salvatore Nicotra précise encore que son objet est « 
la gestion des moyens financiers du parti ''AGIR'' conformément à la législation relative au financement et à la comptabilité ouverte des partis politiques. ». Sur le plan politique, justement, ses statuts mentionnent qu'AGIR se chargera de « la diffusion par tous les moyens légaux des idées du parti reprises dans son programme. L'association veillera à mettre en oeuvre tous les moyens afin de permettre au parti de se présenter aux élections à tous les niveaux de pouvoir et de contribuer ainsi activement à la vie politique belge et européenne. ».

Pour y parvenir, une structuration efficace du parti AGIR devrait se faire. Pour réussir cette organisation interne et éviter les zizanies endogènes du passé, il faudra sélectionner au millimètre près toutes les adhésions à venir. A ce niveau, Salvatore Nicotra excelle, comme jadis les commissaires politiques du Parti communiste sous l'ère staliniste. En 2012, lors de la cessation des activités du FN de Charles Pire, son secrétaire national, G-P.T., avait pris par opportunisme sa carte de membre à l'asbl FN belge. Avant que son président de l'époque, Salvatore Nicotra, ne décide de refuser ce transfuge.


Aux prochaines élections communales en 2018, puis régionales et législatives de 2019, le tout neuf parti AGIR apparaitra théoriquement sur les listes électorales. Une très mauvaise nouvelle pour les autres micros formations d'extrême droite (Alliance nationaliste wallonne, Parti des pensionnés, Mouvement Nation...), mais également pour ceux de l'ultra droite populiste, comme le Parti populaire de l'avocat d'affaires Mischaël Modrikamen.

La guerre des fronts nationalistes ne fait que recommencer.


MANUEL ABRAMOWICZ
RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite 






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RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite  Bruxelles | Jeudi 9 mars 2017 |