L'extrême droite au plus bas, merci le PTB ?

RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite  12 mars 2018


REFLEXION – En Belgique francophone, l'extrême droite est au plus bas. Les marchands de haine ne séduisent pas l'électorat protestataire. Celui-ci se tourne vers une gauche « de rupture ». Merci le PTB ? – PAR CLAUDE DEMELENNE


Un peu partout en Europe – tout récemment encore, en Autriche, en Allemagne et en Italie - le rejet des partis au pouvoir se traduit par une percée électorale de l'extrême droite. Le vote anti-système profite aux marchands de haine. Ceux-ci jouent sur les peurs, principalement des immigrés et des migrants. Ils capitalisent aussi sur les horreurs de la mondialisation capitaliste, qui a accouché, selon l'expression du sociologue et altermondialiste suisse, Jean Ziegler, d'un « ordre cannibale du monde ».

L'extrême droite marque des points en proposant des recettes simplistes. En résumé, rendre les très pauvres encore un peu plus pauvres, afin de redistribuer quelques miettes au « petit peuple » blanc. Les travailleurs sont incités à se révolter contre leurs voisins de palier, et non contre les banquiers, financiers et oligarques de tous poils, vrais responsables du malheur des peuples. Et cela marche ! Parfois maquillée sous les traits d'un populisme gouailleur, l'extrême droite se porte bien, merci pour elle.


Une poignée d'élus fantomatiques
La Belgique francophone fait partie des rares (demi)pays où l'extrême droite est quasi inexistante. Le bilan est vite dressé : aucun élu francophone d'extrême droite au parlement fédéral, aucun élu francophone d'extrême droite au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, aucun élu d'extrême droite au parlement wallon. A peine une poignée d'élus dans les conseils communaux, dont deux élus fantomatiques à Charleroi – ils font de la figuration - un élu à La Louvière, ainsi qu'à Fleurus et Pont-à-Celles, aucun ne pesant réellement dans le débat politique. 

Les prochaines élections communales d'octobre 2018 ne devraient pas changer la donne pour l'extrême droite. Sauf surprise que rien à ce jour n'annonce, elle restera groupusculaire. Les derniers fidèles se regrouperont sans doute autour du micro-parti « Nation », mais pas de quoi enflammer les foules. En Belgique francophone, les déçus des partis traditionnels, les partisans du vote protestataire ou « de rupture », lorgnent vers le Parti du Travail de Belgique (PTB). Formation anti-capitaliste, située à la gauche de la gauche, le PTB avance des propositions à l'opposé du programme de l'extrême droite. Pour faire court, les travailleurs sont incités à s'unir pour réclamer des comptes au 1% de très riches, des prédateurs à la cupidité sans limites. Et cela marche. Dans les sondages, le PTB talonne le PS. Il cartonne auprès des citoyens en quête d'une autre politique.


Le PTB est-il le meilleur antidote contre le poison de l'extrême droite ?
L'encéphalogramme plat qui caractérise cette extrême droite en Belgique francophone s'explique-t-il par l'affirmation d'un petit parti marxiste atypique flirtant, selon ses détracteurs, avec un populisme de gauche décomplexé ? 

L'explication est plus complexe, même si dans les faits, le PTB occupe sur le terrain – et demain dans les urnes ? - la place occupée ailleurs en Europe, par l'extrême droite, avec un programme diamétralement opposé.


« Affreux, sales et méchants »
Le meilleur ennemi de l'extrême droite, en Belgique francophone, ce n'est pas le PTB... mais l'extrême droite elle-même. Celle-ci n'a jamais fait son unité. Minée par les querelles intestines, les exclusions et les détestations claniques, elle n'a pas su faire émerger dans ses rangs un vrai leader tant soit peu charismatique. Dans les années 1990, Daniel Feret, à l'époque patron du Front National belge, a tenté de s'imposer comme tribun, mais sa tentative a fait long feu.

Dans la plupart des pays voisins, les partis d'extrême droite racolent avec plus ou moins d'habileté. Manipulateurs, ils masquent leur vrai visage sous un mince vernis de respectabilité. Le contenu – haineux – ne change pas, mais la façade est – timidement mais habilement – rénovée. 

En Belgique francophone, les – maigres – troupes se partageant le paysage nationaliste / identitaire, se contrefichent de la façade. Bruts de décoffrage, les militants frontistes belges et leurs avatars s'exhibent sans maquillage, peu gênés d'apparaître « affreux, sales et méchants » même aux yeux d'une partie de leur électorat potentiel. 

L'enterrement du lepénisme en Belgique
Au fil du temps, le FN belge est devenu un tel rassemblement de pieds nickelés qu'il a carrément tapé sur les nerfs de... Marine Le Pen. En pleine opération séduction /dédiabolisation pour élargir sa base électorale, celle-ci a considéré que les « mauvaises manières » du FN belge, résolument dans la ligne de Le Pen père, risquaient de nuire au prétendu « nouveau » FN light qu'elle appelle de ses voeux. Marine Le Pen a donc tenté – et a réussi – de faire interdire, par voie judiciaire, l'utilisation en Belgique du nom « Front National » et de son sigle « FN », reconnu comme une marque déposée. Une première décision de justice en ce sens a été rendue en septembre 2012, confirmée en octobre 2016 par la Cour d'Appel de Liège.

L'enterrement du lepénisme en Belgique francophone est un coup dur pour l'extrême droite locale qui capitalise essentiellement sur le signe FN et le nom de Marine Le Pen. En Wallonie et à Bruxelles, « Marine » et « son » FN disposent d'un potentiel de sympathie non négligeable. Même s'il faut en analyser les résultats avec prudence, un sondage réalisé en avril 2015 par l'institut IPSOS a révélé que 32% de Wallons et 25% de Bruxellois seraient prêts à voter pour Marine Le Pen si celle-ci était candidate en Belgique. Ces scores sont à prendre avec des pincettes, pour deux raisons au moins. D'une part, ils se réfèrent non à une intention de vote, mais à une possibilité de vote. D'autre part, ce sondage a été réalisé alors que Marine Le Pen, dont le parti venait d'effectuer un grand bond en avant lors des élections départementales françaises, atteignait un pic de popularité, jusqu'à devenir la présidente du potentiel « premier parti de France ». On en est loin aujourd'hui depuis l'échec cuisant de Martine Le Pen au scrutin présidentiel.

Privée de sa seule marque porteuses – le sigle FN – l'extrême droite, belge francophone paie le prix de son amateurisme sur le marché de la haine. Même les frontistes dans l'âme n'arrivent pas à prendre au sérieux les groupuscules qui la composent. Pire, ceux-ci représentent à leurs yeux un véritable repoussoir. L'extrême droite belge francophone, c'est le hara-kiri permanent.


Merci le PS ?
Le second « meilleur ennemi » de l'extrême droite, en Belgique francophone, c'est le Parti socialiste. Une affirmation qui peut paraître paradoxale, notamment parce que le PS, usé par des décennies au pouvoir, a été impliqué dans plusieurs retentissants scandales politico-financiers, ceux-là même qui, chez nombre de nos voisins, font le jeu de l'extrême droite et de tous les démagogues populistes. Pourtant, à l'opposé du cas français, le PS d'Elio Di Rupo n'a pas « perdu le peuple ». Avec des hauts et des bas, il a conservé la confiance des masses populaires.

En France, les anciens bastions du Parti communiste, et les fiefs historiques des socialistes, se sont quasiment tous effondrés. Beaucoup sont passés à droite, voire à l'extrême droite. Rien de pareil en Wallonie. Lors du dernier scrutin communal de 2012, en province de Hainaut, le PS a obtenu pas moins de 22 majorités absolues en voix (La Louvière, Ath, Mons, Chatelet...). Dans une dizaine de communes (Chapelle, Quaregnon, Farciennes...),le PS dépasse la barre des 60%. A Charleroi, Fleurus, Thuin, Frameries, notamment, le PS frôle la barre des 50%. En province de Liège, le PS a obtenu 10 majorités absolues en voix (Waremme, Andenne, Herstal, Seraing, Saint Nicolas, Flémalle...). Dans six autres communes (Oupeye, Dison, Ans, Awans, Wanze, fléron), le PS réussit des scores supérieurs à 40%. 

Les quelques exemples mentionnés ci-dessus le montrent : le PS reste le parti de la classe ouvrière au sens large. Les banlieues rouges de Liège et de Charleroi sont, jusqu'à ce jour restées fidèles au PS. Ce parti n'a rien cédé à l'extrême droite, qui dans d'autres pays a siphonné une partie des voix de gauche. L'explication de ce qui fait figure d'exception européenne : par-delà ses fautes, ses renoncements, ses mauvais compromis parfois, le PS pratique un socialisme de proximité qui fait sa force. Pas besoin d'être un fan de ce parti pour reconnaître que la plupart des élus socialistes – notamment sur le plan local – sont des militants dévoués, à l'écoute des citoyens, omniprésents sur le terrain, où ils font souvent office de super assistants sociaux.


Un populisme de gauche?
Historiquement, le PS francophone a été un barrage globalement efficace contre la montée de l'extrême droite. Les études d'opinion montrent qu'il pourrait être rejoint, sur ce terrain, par le PTB. La formation de Raoul Hedebouw semble séduire une majorité de déçus de la gauche traditionnelle qui, en d'autres lieux, se laissent parfois arnaquer par l'extrême droite.

Le PTB a t-il jeté les bases d'un populisme de gauche, efficace pour dissuader une partie du peuple de tomber dans les bras des populistes d'extrême droite ? La recette du PTB ne se situe pas vraiment sur ce terrain là. Le PTB pourrait être catalogué « parti populiste de gauche » s'il mythifiait « le peuple » face aux « élites », en ce compris notamment les élites médiatiques, à l'instar d'un Jean-Luc Mélenchon, sans doute la figure de la gauche européenne qui a le mieux ébauché une posture populiste contestable mais progressiste. « Dans les discours populistes, le mot 'camarade', ce nom qui identifie la gauche, est abandonné. Comme est délaissé le mot 'citoyen'. Eliminé au soir du premier tour de l'élection présidentielle d'avril 2017, Jean-Luc Mélenchon s'adresse aux électeurs en ces termes : 'Mon beau pays, ma belle patrie, et vous tous les gens, nous pouvons être fiers de ce que nous avons entrepris et réalisé. Vous tous les gens, patrie bien-aimée, vous êtes un matin tout neuf qui commence à percer » (1).

Le PTB n'est pas un parti populiste de gauche, opposant le peuple aux élites, mais un parti marxiste qui effectue une analyse « classiste » de la société. Le moteur de l'histoire, pour ce parti, reste la classe ouvrière au sens large. Si le PTB attire aujourd'hui un nombre non négligeable de déçus la politique – les empêchant de lorgner vers l'extrême droite – c'est essentiellement parce qu'il renoue avec les méthodes d'action des pionniers du socialisme, privilégiant le mouvement social, la présence sur le terrain, aux portes des usines et des entreprises, sans oublier son action pour des soins de santé gratuits, au sein des maisons médicales de « Médecine pour le Peuple ».



Gauche radicale de proximité
La plupart des électeurs ne croient plus aux grandes idéologies mais jugent les hommes et les femmes politiques sur leurs actes. Le fait que les élus et les cadres du PTB refusent de gagner davantage qu'un salaire moyen d'ouvrier, n'est sans doute pas pour rien dans la percée d'un parti davantage populaire que populiste. Un parti qui a inventé une gauche radicale de proximité, utile pour contrecarrer l'extrême droite et ceux qui, au Parti Populaire de Modrikamen, en copient sans trop d'états d'âme les harangues et les slogans les plus réducteurs.


CLAUDE DEMELENNE

RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite


(1) Dominique Rousseau, Le Nouveau Magazine littéraire, février 2018



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RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite  | Bruxelles | 12 mars 2018